Roberto astique son arme en sifflotant un air désuet rappelant les ritournelles d'une enfance parisienne. Il fait le geste machinalement sans même y songer. Il est soldat.
Le soleil assèche les âmes, la guerre les vide.
Une armée en déroute se love autour d'une larme de terre. Un étal de visages meurtris porte dans un silence assourdissant le souvenir rougeoyant des champs des batailles passées. Seul Roberto vient perturber le silence.
Les hommes suivent en cadence le cliquetis de l'âme de leurs armes sans même s'en rendre compte. Le sang des hommes se répand tel un fleuve en ce temps, hurlant de cent milles voix défuntes. Seul Roberto persifle pour couvrir leurs hurlements sourds. Le bord de mer gercé d'écumes épouse la larme de terre en des noces blanches. Une douce brise marine nettoie les visages de leur péchés.
Aucun leader n'est à la tête des hommes et un élan de liberté s'empare de la tribu disparate de tueurs improvisés. La tendre caresse iodée sur les joues des soldats les emporte dans une délicieuse torpeur qui signe la fin de leur supplice. Les quelques réfractaires encore dans les rangs qui se sentent toujours investis d'une infernale mission meurtrière se regroupent pour discuter de l'avenir de la troupe accidentelle de déserteurs. Las des combats sifflants, criants et sanglants, les autres se taillent un costard d'eau de mer sur leur tenu. Leurs armes gisent enfin inertes à l'orée de l'eau.
Un épais plafond de nuages aux formes compactes et arrondies s'annonce au fond des regards des hommes s'agenouillant dans les eaux salées. Il s'avance négligemment et se vêt des lisses couleurs grisâtres d'un morne temps. Il s'annonce dans un bruit éclatant, dans des jets de lumière sourde lézardant le néant.
Les ondes de l'été s'abattent sur les hommes en gouttes fines. Elles épanchent les soifs de l'instant présent. Elles font renaître de vertes visions de leurs mémoires. Elles caressent sans discernement les honnêtes comme les brigands. Elles serpentent sur les cailloux qui jalousent la terre de ne pouvoir les goûter à leur gré. Les chatoiements des reflets vermeils des courants profonds illuminent la surface ridée de l'eau salée. La masse dense des nuages où se reflètent les vagues filantes se meut tandis que les hommes s'abreuvent de leurs ondes salvatrices.
Le nouveau terrain de jeu des vasques humaines est tel un ruisseau ondulant sous les peurs du temps des incertaines heures à venir. Un doute s'insinuent dans les gestes et les pensées des jarres humaines. Il grandit.
- Hey ! Allons-nous s'en vers les collines, lance Roberto trempé jusqu’aux os, s'improvisant une âme de leader.
Les hommes n'entendent pas l'appel de Roberto et continuent pour la plupart leurs savoureuses ablutions.
- HEY ! Partons donc vers la terre !
Petit à petit la rhétorique du dernier combat s'abat sur la troupe. Elle quitte tel un joyau caché des yeux sa confortable couche pour se soumettre aux esprits des combattants. Elle se repaît de sa solitude perdue. Elle n'est pas encore implanté dans les intellects des guerriers.
Les formes des collines débarquent sur le radar des hommes. Elles dessinent dans le ciel ébahi de traits de pluie des seins dorées. Les hommes serpentent vers les imposantes mamelles sur un sentier de terre défoncée et humide. Leurs pas portent encore les hésitations des fatigues de nombreuses nuits sans sommeil. Des mâchoires entrouvertes suivent le mouvement que chaque pas inflige à la troupe. Elles croquent d'un air de rien un met exquis qui ne sait que déserter, le vent.
La troupe se rapproche du sommet de la colline qui leur était la plus proche. Elle porte ses habits d'été où la végétation la recouvrant est meurtrie par la chaleur et le soleil. Elle porte un jaune accueillant.
Roberto, qui avait pris la tête du cortège, s'arrête et contemple la colline de tous côtés en effectuant un pas de danse. Il s'assied à même le sol et caresse les brins d'herbe sèches qui bordent le chemin. Dans un geste de défiance, ils se courbent vers le sol pour échapper à son étreinte.
Pas un arbre à l'horizon, seul la mer et des vallons jaunis à perte de vue. Roberto soupire.
La troupe s’amasse lentement sur les hauteurs et se répand dans les prés alentours à la chevelure blonde.
Les inquiétudes du futur continuent de prendre de l'âge dans le désabusement salvateur ambiant. Que deviendront-ils ?
Les épuisements ferment d'une lourde caresse les yeux des soldats allongés. Ils ne trouvent plus de repos qu'entres deux sursauts d'horreurs, deux indicibles reminiscences sanglantes peuplant leurs rêves écarlates.
Roberto, couché dans les cheveux du soleil, s'enlise avec ses camarades d'infortune dans le leurre de rêves agités, tendrement léché par une langue d'air sec.
Il court dans la nuit d'une galopade élégante, parcourant à chaque enjambée une fraction d'heure. Il court à travers villes, campagnes et montagnes. Il court contre sa propre montre. Tout contre. Les paysages de ses souvenirs défilent nimbés d'émotions les accompagnant. Il ne peut s'arrêter de courir. Ils les regardent impuissant spectateur de sa propre vie d'un oeil sévère.