en:cueillette

[Musique: les pleurs d'un violon feulant un air hautain]

Au grand dam des jalouses âmes persiflantes sur leur route solitaire, un rustre au cœur de lys cueille une fleur. Un pas. Deux pas. Une autre fleur. Un collier chamarré confectionné par ses mains aux enivrés parfums entoure son cou.
Il danse seul ?
Il danse avec les feuilles.
Il danse avec le vent.
Il ondule avec les champs.
Le regard orange d'un champignon l'arrête. Ils se fixent d'un œil, puis s'observent des yeux. Une fleur aux pétales bleus lui interdit d’épancher sa faim au penchant orange. Un arbre au lointain lui recommande ses fruits, gorgés d'un suc amer. Il s'en saisit et les glisse sur sa langue qui en tressaillît. Miam. Une fleur aux pétales roses lui dit :
- Voudrais-tu être immortel ?
- Oui
- Alors tu graveras sur le marbre dont ne sait où les phrases : “Je suis fait de vent et de firmament. Je suis les branches et les feuilles. Je suis le vert et la poussière. Je suis les eaux et les flammes. Je suis tout cela et plus encore”
- Sur le marbre dont ne sait où ?
- Oui
Et la fleur si rosie se fana. Où mais où est le marbre dont ne sait où ?
Il ne le savait pas.
Un brin de muguet, si près si loin, coupé et allongé l'interpelle :
- Je … je sais où il est …
- Le marbre dont ne sait où ?
- Oui. Il est … au bout du chemin
Et le brin de muguet toucha à sa fin sous le regard reconnaissant du rugueux au cœur, désormais, d'iris. Douze chemins s'offraient à lui. Onze sans immortalité à la clé. Suspect.
Un son lointain, un murmure au loin s'avance à pas légers … “Je mène au marbre dont ne sait où” “Je mène vers la vie éternelle” “Je mène au refrain sans fin”. Mais si le message est clair, sa provenance ne l'est pas. Il n'arrive à la distinguer qu'entre cinq chemins.
Un est orné de fières haies de rosiers rouges, blancs et violets. Un autre est aussi noir que la nuit en enfer, bordé d'arbres aux ondulations menaçantes. Un troisième est aussi clairsemé de vie qu'un désert. Un quatrième est creusé par une très nombreuse famille de taupes à lunettes. Et le cinquième est jonché de feuilles aux couleurs automnales délivrées par des arbres sans âge. Un escargot à la coquille ébréchée s'engage sur les feuilles jaunies et rougies. Sa traînée dessine des lettres : “Suis ce chemin”.
Et il s'engagea d'un pas velours sur le tapis de feuilles qui s'envola avec lui.
Voletant de ci de là sur le manteau de feuilles entre les arbres sans âge, il arrive dans une clairière où trône un siège. Un siège plein fait d'un tronc coupé.
Il n'y voit rien d'autre. Le tapis le dépose en caressant les herbes à quelques mètres de l'orée des bois. Silence pesant.
Un souffle de vent, une brise languissante transporte dans la clairière quelques feuilles noircies. Elles semblent douer d'intention. Le quelque se transforme en nombre. Le souffle en tornade parcourant anarchiquement les contours de la clairière, transportant un amas dansant aux nuances de couleurs jaunes, rouges et noires.
Dans une dernière nimbe de vent, la tornade s'apaisa. Elle laisse doucement apparaître une forme faite de feuilles. Une forme aux allures humaines figées telles une statut de pierre.
La forme se meut. La forme parle d'une voix de lierre :
- Que fais-tu là ?
- Je suis venu pour faire chanter le refrain sans fin sur ma partition
- En es-tu digne ?
- Je le crois
- Laisses-moi en être le seul juge
Des mains jaillirent de l'amas de feuilles aux contours vagues tendant un marteau et un burin fait de rameaux fermement entrelacés. Il s'en saisit et les inspecta.
- Je ne pourrais creuser le marbre
- Tu verras bien en temps voulu
Une des mains de l'être feuillu désigna le tronc.
Il s'avance vers lui. Le tronc était creusé en son sein. Des escaliers cachés se dévoilèrent. Il s’engagea dans l'escalier suivi du lévitant végétal enchanté.
Ils arrivent en bas de l'escalier en ne faisant bruit. Aucun des pas ne résonnent. Bizarre.
Une caverne s'annonce après le vestibule. Une caverne naturelle faite de pierre blanche, de mousses tendres et de terre rouge. Il pose le pied le premier sur la terre, qui en tremble d'effroi.
La caverne est aussi noire qu'une nuit sans astres. Il marche d'un pas poli et incertain, n'y voyant rien. L'être de magiques feuilles mortes le devance pour lui indiquer la route. Il le suit d'un pas plus assuré.
Une tâche de lumière fort peu distante apparaît dans son regard. C'est une petite pièce ronde éclairée par un puits de lumière creusé dans sa voûte. La lumière tombe sur un écrin posé au sol. Il est fait d'un bloc de pierre ocre sans verrou. Il se tient devant en compagnie de son nouvel ami si peu bavard. L'écrin est fermé. L'être parle :
- Voilà l'écrin taillé par les pluies, les mers et les océans. Il contient le marbre dont ne sait où
- Et je l'ouvre comment ?
- Avec tes mains d'argile
Une sensation molle traverse ses doigts, remonte au delà de ses phalanges et envahit ses avant bras. Il regarde étonné ses mains se changer en argile dans une douleur vivifiante. Interloqué par ses nouveaux attributs glissants, il laisse tomber marteau et burin à ses pieds. Il touche l'écrin qui s'ouvrit. A l'intérieur, une dalle d'un marbre d'une blanche pureté immaculée et vierge de tout. Il saisit burin et marteau qui se transformèrent en pierre dure et noire. Il écrit au burin sur la dalle dans un tacati :
“Je … tactac … suis fait de vent … tactac … et de firmament … tactactac …. Je suis … tactac … les branches et les feuilles. …tactac … Je suis le vert et la poussière. … tactac … Je suis les eaux et les flammes. Je suis tout cela et … tactac … plus encore”
Un tourbillon d'air fait de tous les instants du rugueux aux mains d'argile embrase la caverne, chamboule le fil du temps. Le sol brûle, les murs de pierre saignent, le plafond couvert de mousses disparaît dans un fracas.
Un ricanement caverneux venant d'en haut : “Ah Ah Ah !”
Une voix rauque envahit l'espace : “La vie éternelle n'existe pas ! Tu seras comme un rameau du temps attaché au tronc de mes immuables désirs sadiques. Tu ne seras plus libre de mouvement, à jamais entravé à mes envies perverses. A moi tu seras jusqu'à ta mort ! Ah Ah Ah !”
A ses mots, son corps se rétrécit et finit tout petit sous la forme d'une brindille de bois vert. Il voit l'être se penchant sur lui mais plus comme avant. Dans ses yeux roulent des flammèches, son corps est désormais desquamé et ruisselle dessus du sang noir. Se dessine devant lui un hère échappé des enfers marchant sur deux pattes.
Des souvenirs de son périple lui reviennent. Mais avec quelques changements. L'arbre aux fruits amers est habillé d'une robe noire fendillée d'une alléchante jambe de bois. Une bouche aux dents de vipères sifflait d'une voix d'outre tombe sur le bas de son tronc. Ses fruits n'étaient que piqûres destinées à le droguer. Le paisible escargot, un œil tournoyant observant ses agissements. Les voix le guidant, des râles menteurs. L'argile de ses mains, des lambeaux de peau arrachés par des lames expertes. La caverne, une grotte aux murs musculeux ensanglantés où surgissent des visages hurlant de douleur en silence. Le marteau et le burin de rameaux, des menottes de chair tremblante. Et la fleur rose, un pieux ensanglanté surmonté d'une tête ânonnant des mots de fiel. La dalle du marbre dont ne sait où, la clé des menottes. Chaque indication qui lui avait été prodiguée sur son parcours n'était que leurres et tromperies. Et le voilà tout mari, coincé dans un corps de bois à la merci d'il ne sait quoi. Horreur.
L'hère l'accroche avec d'autres âmes sur un arbre fait d'un tronc dont on ne voit ni le début ni la fin. Le tronc flotte entre d'épaisses brumes rouges et les brindilles qui lui sont rattachées sont légion. Il sent la prison de son nouveau corps l'enserrer avec fermeté. Le tronc entretient ses peurs et vide son cœur d'iris, chacun de ses frissons si communs nourrissent les veines sans fin du tronc. Il devient sève. Il entend le hurlement saisissant de toutes les frousses qui le traversent. Angoisse.
Il vibre dans les fibres de son corps de bois un hymne de peur. Hagard, son esprit asservi analyse la situation. Et rapidement le voilà entonnant un contre-chant, si vibrant :
“Je suis amour, toujours. Je suis une tendre caresse sur vos cœurs, si froids et si stériles. Je suis l'âme sans peurs du monde. Je suis l’éternel rameau de la liberté.”
Le chant empli ses fibres, traverse son écorce et flotte dans l'air. Il est repris en chœur par ses voisins de bois au alentour qui disséminent à leur tour la douce chansonnette. L'air vibre sous les chœurs. Le tronc se noircit, les brumes se dissipent, la lumière rouge vire subrepticement au jaune.
Il sent de nouveau son cœur désormais d'orchidée. Il sent ses bras, ses mains et ses jambes repousser autour de son corps de bois. Il sent enfin la chaleur de son être inondée ses veines et ses artères.
Il est enfin libre de peur.

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